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La relation guide-client à travers le temps
La dimension symbolique de la relation guide-client, en lien avec le contexte socio-historique, a connu des métamorphoses au fil du temps. Revenons sur les grandes étapes qui ont forgé un lien unique entre un guide et son client.
Accompagné de ses guides portant le matériel scientifique nécessaire, Saussure gravi le Mont-Blanc pour en mesurer la hauteur exacte. Les savants de l’époque furent les premiers attirés par les cimes, menant une quête d’abord scientifique. Ils engagèrent des locaux en tant que porteurs. A l’époque, le guide est cristallier, paysan ou chasseur de chamois. Il est l’exécutant de sa clientèle souvent fortunée et étrangère. Le client est « roi » et prend les décisions. Comme en témoigne l’accident de la caravane Hamel, le 20 Août 1820 : le temps s’étant détérioré, les guides unanimes décident de rebrousser chemin. « Nous fîmes part de cette décision au docteur Hamel, qui s’y opposa formellement » rapporte le guide-chef, Joseph Marie Couttet. La volonté du client l’emporte et l’ascension continue. Peu de temps après, une avalanche emportera les guides Balmat, Carrier et Tairraz.
De manière fictive mais dépeignant une réalité de l’époque, les romans de Roger Frison-Roche illustrent cette ambivalence des sentiments des guides pour leurs clients, à la fois gagne-pain et dominants. Le client paie pour atteindre un sommet. Le guide est un porteur et un ouvreur de voie. La relation est alors essentiellement marchande.
Mais l’activité de guide se professionnalise via l’essor du tourisme alpin. En 1820, durant la Restauration, on dénombre environ 1500 visiteurs par an dans la Vallée de Chamonix. La Compagnie de Guides de Chamonix est alors créée en lien avec la Caisse de Secours. L’identité professionnelle du guide prend racine, s’appuyant sur un règlement très stricte permettant de défendre les intérêts de l’emploi. Les clients viennent « au bureau » choisir leur course. Par cette officialisation du métier, les relations changent peu à peu et des célèbres amitiés naîtront de ce couple indissociable qu’est le guide et son client. A la fin du XVIIIe siècle, l’alpiniste américain Coolidge grimpe pendant 17 ans avec le guide suisse Christian Almer, ensemble ils feront un bon nombre de premières. La relation sera même romantique et romanesque : le pic Isabella dans les Aiguilles de Chamonix porte ce nom en hommage à Isabelle Straton, cliente et épouse du guide Jean Charlet-Straton.
Jean-Esteril Charlet et Mary Isabella Straton. Source : www.alpinist.com
La relation continue à évoluer au fil des décennies : les guides gagnent leur indépendance. Ils ne sont plus de simples exécutants mais deviennent des éducateurs à part entière. Ils tissent des liens solides avec leurs clients qu’ils nomment parfois « les fidèles ». L’estime s’installe dans la cordée. Dans les années d’après-guerre, la relation guide-client est mise en scène par Maurice Baquet, ami et fidèle client de Gaston Rébuffat. Outre les prouesses techniques et le style de l’époque, c’est surtout l’amitié entre les deux protagonistes qui ressort du film-documentaire « étoile et tempête ». Cette régularité et entente entre le guide et son client est d’ailleurs récompensée lors de la traditionnelle Fête des Guides : des médailles sont offertes aux clients les plus fidèles.
Maurice Baquet et Gaston Rébuffat dans « Etoile et tempête » Source : www.gumsparis.asso.fr (PDF)
Aujourd’hui, le guide n’est plus qu’un « simple ouvreur de voie » mais a acquis des compétences pédagogiques et d’animations. La relation envers son client est au cœur de son métier. Pour Paulo Grobel, guide de haute montagne, le professionnel peut être désormais « non seulement devant pour guider, mais aussi derrière pour rassembler, et au milieu pour conseiller ». Selon Philippe Bourdeau, la relation peut être qualifiée de passionnée et parfois de tourmentée. Le contexte quant à lui s’est à la fois simplifié et complexifié : « simplifié car le guide est beaucoup plus proche de ses clients, socialement et culturellement, qu'il ne l'était autrefois ; mais également complexifié car les fonctions qu'il doit assumer s'intègrent dans le contexte du marché des loisirs ».
Définition de « l’esprit de cordée » selon la candidature de l’alpinisme envoyé au Patrimoine Culturel Immatériel : « une forte compréhension mutuelle et un partage constant des responsabilités, dans les difficultés comme dans les réussites. » Photo : Eric Courcier
Rôle de porteurs pour des savants attirés par la science, à celui d’éducateur et protecteur pour des amateurs d’altitudes, la relation entre le guide et son client n’a cessé d’évoluer. Cette relation peut être représentée par la corde. Elle relie deux personnes partageant pour quelques temps la même trace. Une relation de confiance unie ces deux êtres dont parfois tout oppose, mais dont le partage d’émotion créé un lien unique, caractérisé par l’esprit de cordée, élément fondamental de l’imaginaire des alpinistes.
Pour faire suite à cet article et afin d’illustrer cette relation exceptionnelle et singulière, nous avons recueilli quelques témoignages de nos clients dans l’article “Parole aux client(e)s”.